Les CNEP, comme pour l’épilepsie, ont pour conséquences d’entrainer des difficultés en éducation et dans l’emploi, et elles affectent l’autonomie des personnes touchées. Des données récentes suggèrent aussi que les personnes avec CNEP ont un risque de mortalité 2,5 fois supérieur à celui de la population générale et équivalent au risque élevé de celles atteintes d’épilepsie pharmaco-résistante.
Le terme pour désigner ces manifestations n’est pas anodin et peut faire une différence dans la manière dont les gens sont perçus et traités – par les professionnels de la santé, les amis, la famille et le public. Les mots « crise » « attaque » « évènement » ou « accès » ont des significations et des implications qui peuvent être bien différentes. Un groupe d’intérêt sur les CNEP formé de membres de l’AES, FNDS et ILAE a organisé une série de réunions pour discuter et formuler de manière plus précise et appropriée la terminologie des CNEP.
Ces réunions ont été présidées et animées par Julia Doss (psychologue pédiatrique du Minnesota Epilepsy Group) et par Barbara Dworetzky (neurologue et épileptologue à la Harvard Medical School). Des informations contextuelles, des commentaires de patients, opinions d’experts, discussions et vidéos ont été revus.
Au cours de ces réunions, plus de 150 participants ont discuté du terme le plus approprié pour désigner les CNEP et comment la désignation de cette condition peut influencer le traitement, la perception et l’adhésion du public, la déontologie professionnelle, la stigmatisation et le remboursement des frais médicaux.
«Tous les points de vue ont été entendus» a déclaré Barbara Dworetzky. «L’idée était de discuter de ce qui est important dans le choix et la signification d’un terme, et de trouver celui qui ferait consensus et accepté par la majorité, afin que nous puissions faire avancer les choses.»
Dans cet article, les termes «crises non-épileptiques psychogènes», « CNEP » et «crises fonctionnelles» sont utilisées de manière interchangeable.
Historique de la terminologie
Selon Benjamin Tolchin, neurologue à la Yale University Medical School, des sondages ont montré que les patients préfèrent certains termes à d’autres. Par exemple, les termes «pseudo-crise» et «crise hystérique» peuvent être considérés comme offensants, alors que les professionnels de la santé utilisent encore régulièrement le terme de «pseudo-crise».
Le terme CNEP est utilisé dans un but descriptif, mais il a des défauts. Ainsi, le mot «Psychogène» sous-tend aux mouvements observés une cause psychologique et non organique (comme dans les cas d’une malformation ou d’une tumeur cérébrale). Les patients et leurs familles peuvent quant à eux interpréter différemment et négativement le terme «psychogène», et entendre plutôt un terme péjoratif comme « psychopathe», souligne un des participants.
Des participants ont aussi relevé que le terme «non-épileptique» utilisé pour distinguer les CNEP des crises épileptiques (qui elles ont des corrélats à l’EEG), décrit ce que les symptômes ne sont pas, plutôt que ce qu’ils sont.
Le terme idéal
Une liste de critères pour un terme idéal a été présentée par Barbara Dworetzky:
- Être non préjudiciable, de sorte que les patients l’acceptent plus facilement et cherchent à suivre une thérapie
- Expliquer le désordre sans présumer de son étiologie
- Etre universel et se comprendre, et être acceptable dans différentes langues et cultures
- Pouvoir être utilisé par les différents professionnels de la santé et pour différentes conditions cliniques
- Etre unique et universel
- Être adapté aux différentes classifications
Avec une connotation psychologique, ou non?
Le terme CNEP suggère une cause psychologique à ces évènements. Toutefois, le DSM-5 de l’Association Américaine de Psychiatrie n’inclue pas de critères psychologiques pour poser un diagnostic d’un trouble neurologique fonctionnel (anglais : FND) ou d’un trouble avec symptômes neurologiques fonctionnels (anglais : FNSD). Il n’a pas été démontré que les facteurs psychologiques (comme des antécédents de maltraitance ou de traumatisme psychologique) peuvent aider au diagnostic ou à en prédire l’évolution.
La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) a montré les meilleurs résultats dans le traitement des CNEP. La mention d’une étiologie à caractère psychologique dans la désignation de ce trouble a été le propos d’intenses discussions. Certains participants ont jugé que son inclusion conduirait à une meilleure acceptation du traitement, alors que d’autres ont soutenu que quel que soit le terme utilisé, des patients vont être réfractaires à l’idée que leurs symptômes physiques puissent être traités avec succès par une thérapie cognitive.
Gaston Baslet, psychiatre à l’Harvard Medical School qui traite les personnes atteintes de CNEP, nous dit: «Je comprends bien la difficulté qu’il y a à impliquer les patients dans le traitement», «mais la meilleure thérapie à ce jour pour ce trouble demeure la thérapie cognitivo-comportementale, ou TCC. Ainsi, un libellé qui reconnaîtrait la nécessité de traiter les facteurs psychologiques devrait favoriser l’acceptabilité et l’adoption de la TCC auprès des patients et motiver leur adhérence au traitement. »
Par ailleurs, il ajoute que «les neurologues ne devraient pas utiliser le mot « psychogène » pour se distancier du patient et parce qu’ils croient que ce ne soit pas de leur ressort ou compétence de traiter ce trouble.
Jon Stone, de l’université d’Édimbourg, est neurologue et s’intéresse aux symptômes fonctionnels. Il note que plusieurs conditions n’incluent pas une étiologie ou une cause dans leur énoncé. Ainsi, dit-il, «Un mal de tête est un mal de tête» et «si quelqu’un a mal à la tête en raison du stress, c’est une condition avec des fondements psychologiques. Mais, nous n’appelons pas cela un mal de tête psychogène. »
Nicole Roberts, de l’Université de l’État d’Arizona, est une psychologue qui étudie les impacts culturels et biologiques sur les réponses émotionnelles. Elle croit que la désignation de cette condition doit avoir une connotation biologique : « Nous savons qu’il existe des perturbations dans la connectivité du réseau neuronal et de l’activation parasympathique», dit-elle, et «nous devrions donc envisager une terminologie qui reflète bien ce que nous observons. En faisant les choses correctement, ceci aura pour effet de légitimer cette condition, comme dans le cas du trouble de stress post-traumatique: établir qu’il s’agit bien d’une condition légitime avec des fondements biologiques et des avenues de traitement efficaces. »
Le mot «crise»
D’une part, l’utilisation du mot «crise» peut prêter à confusion – pour les patients et pour plusieurs intervenants du personnel de santé. D’autre part, il est probablement approprié de conserver ce terme pour les neurologues qui sont pour une grande part impliqués dans le suivi des patients avec CNEP (on estime qu’environ 10% des patients ont à la fois une épilepsie et des CNEP).
Selon Benjamin Tolchin, les recommandations pour le diagnostic et le traitement des CNEP ont été récemment revues dans un groupe de discussion (par voie de courriers électroniques) composés d’épileptologues, et dirigé par l’American Academy of Neurology. Plusieurs membres du groupe ont craint que l’utilisation du terme «crise» ne crée de la confusion chez les patients et chez les cliniciens.
Maria Oto, neuropsychiatre au Scottish Epilepsy Centre, évite le terme «crise» afin de bien distinguer cette condition de l’épilepsie. « Invariablement, les patients que je voie se sont faits dire qu’ils souffraient d’épilepsie, et il est alors souvent difficile d’expliquer qu’une crise n’est pas toujours de nature épileptique», nous dit-elle.
Mahinda Yogarajah, neurologue au St. George’s Hospital de l’Université de Londres, croit que le terme « crise » peut aussi conduire à un traitement qui n’est pas nécessaire : «Même avec des qualificatifs comme «fonctionnels» ou « non-épileptiques », les médecins des urgences généralement assimilent une telle crise à la nécessité d’utiliser des benzodiazépines par voie intraveineuse et d’autres interventions».
Pourtant, le terme «non-épileptique» devrait idéalement permettre d’éviter que ces patients reçoivent aux urgences un traitement inapproprié, a souligné Aileen McGonigal, épileptologue à l’Université d’Aix Marseille. Elle ajoute que «Le terme de crise est bien souvent conforté par l’utilisation fréquente de l’EEG pour évaluer ces attaques».
Suzette LaRoche, neurophysiologiste à l’École de médecine de l’Université Emory, réitère que l’utilisation du mot «crise» devrait faire en sorte que les neurologues restent impliqués dans le traitement de ces patients; dans de nombreux cas, ils orientent les patients avec CNEP vers un psychiatre ou un psychologue et n’assurent plus de suivi. La Dre LaRoche travaille dans une clinique rurale dont le nom de «clinique d’épilepsie» a été changé en «clinique de crises» où sont vus à la fois les patients atteints de CNEP et d’épilepsie. « Changer le nom de la clinique a réduit la stigmatisation », a-t-elle déclaré.
Des participants ont suggéré d’utiliser le mot «attaque» ou «événement», mais sans qu’il y ait eu d’accord général.
«L’étiquette dépend en partie de la manière dont les patients transmettent à d’autres personnes ce qui ne va pas», a suggéré Bridget Mildon, présidente et fondatrice de FND Hope International, un organisme à but non lucratif qui contribue à la sensibilisation et au soutien des personnes affectées par un trouble neurologique fonctionnel.« Les gens nous demandent: ‘Alors, qu’ont-ils découvert?’ et puis quelqu’un nous dit “Eh bien, ai-je des événements”? ». Ou encore, «Qu’est-ce que cela signifie? »
Jeffrey Buchhalter, épileptologue pédiatrique à l’hôpital St. Joseph en Arizona, utilise «événement» comme un mot neutre pour entamer la conversation. «Ce qui est important, c’est ce qui vient ensuite», souligne-t-il. En évitant le mot «crise», «Vous indiquez plus clairement que cette personne n’a vraisemblablement pas besoin de médicaments anti-épileptiques ou autres procédures pour poursuivre la thérapie.»
Jay Salpekar, neuropsychiatre pédiatrique au Kennedy Krieger Institute de Johns Hopkins, est bien d’accord. «Mes patients sont à l’aise avec le mot « épisode, et il n’est pas nécessaire d’utiliser le terme de « crise ».»
Encadrement
Les participants ont convenu qu’il est essentiel de bien articuler et expliquer cette condition. Kasia Koslowska, pédopsychiatre à la faculté de médecine de l’Université de Sydney, explique aux familles les CNEP comme une dérégulation de réseaux neuronaux, causée par certains types de stress (psychologique, physique, ou les deux). Le stress amène les programmes moteurs du cortex préfrontal à «se déconnecter» et à s’exprimer de manière involontaire.
«Le langage utilisé auprès de ces patients et leurs familles peut encourager l’engagement ou le désengagement, l’espoir ou l’impuissance», a-t-elle déclaré.
La psychologue Julia Doss croit que quelle que soit la façon dont la condition est expliquée, des mots tels que «psychogène» ont des connotations négatives. «Cela ne veut pas dire que nous ne devrions jamais utiliser le terme « psychogène », mais nous devons être conscients de la façon dont les gens le reçoivent», a-t-elle déclaré.
Gastin Baslet quant à lui croit que «bien que l’explication puisse être plus importante que le terme, celui demeure aussi important». «La personne qui entend ce terme doit aussi être disposée à entendre l’explication. S’ils n’aiment pas ce qu’ils entendent ou s’ils font des associations avec ce terme, cela peut invalider l’ensemble du processus. “
«Ce que nous disons et ce que les patients entendent peuvent parfois être deux choses bien différentes, et nous ne pouvons pas contrôler la façon dont ces patients interprètent ce que nous leur disons», a déclaré W. Curt LaFrance, neurologue et psychiatre de l’Université Brown. «Cependant, vous pouvez dire des choses difficiles à ces patients s’ils savent que vous vous souciez d’eux. Si nous nous éloignons des spécificités de la terminologie et que nous faisons simplement savoir aux gens: “ Je vous entends, je vous vois, je comprends que vous vous battez et que vous souffrez ” – S’ils entendent et voient cela, et que nous agissons avec compassion, je me demande en bout de ligne si le terme est si important. »
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