Selon une étude globale menée par le groupe de travail sur la substitution générique de la Ligue internationale contre l’épilepsie (ILAE) auprès des professionnels de santé, les neurologues du monde entier s’inquiètent de l’utilisation d’antiépileptiques génériques, notamment concernant leur qualité médiocre ou inégale, leur accès restreint, leur coût, et l’absence de contrôle réglementaire.
L’enquête a recueilli 800 réponses, dont 84 % provenant de neurologues ou d’épileptologues. Environ 31 % des répondants exerçaient dans un hôpital universitaire, 22 % dans un hôpital public, 12 % dans un hôpital communautaire privé et 11 % dans une clinique dédiée à l’épilepsie.
Innocuité et efficacité des génériques
Dans l’ensemble, moins de la moitié des répondants (40,3 %) ont estimé que les génériques des médicaments antiépileptiques sont aussi sûrs et efficaces que les produits d’origine. Parmi les autres répondants, 22,6 % ont déclaré que les antiépileptiques génériques ne sont pas comparables aux produits d’origine, et 37,1 % n’ont pas réussi à trancher.
Les répondants des pays à revenu élevé sont plus susceptibles d’avaliser l’innocuité et l’efficacité des antiépileptiques génériques (46,5 %), que les répondants des pays à revenu intermédiaire (26,7 %) et à faible revenu (35,9 %).
Ces différences peuvent refléter des environnements réglementaires variables, a déclaré Timothy Welty (États-Unis), président du groupe de travail. Les médecins des pays dans lesquels les normes d’approbation et de fabrication sont plus rigoureuses – généralement des pays à revenu élevé – peuvent avoir plus confiance dans les médicaments génériques.
La plupart des recherches sur les médicaments génériques proviennent également de pays où le contrôle réglementaire est élevé, a-t-il précisé.
« Nous n’avons pas beaucoup de bonnes données provenant de pays sans contrôle réglementaire fort », a mentionné M. Welty. « [Le groupe de travail a trouvé] une étude plus ancienne menée en Thaïlande, une étude plus petite, qui n’a pas montré de différence entre médicaments génériques et médicaments d’origine, mais c’est la seule ».
Alors que les médecins des pays à faible revenu doivent sérieusement prendre en compte l’environnement réglementaire lors de l’évaluation de l’utilisation des antiépileptiques génériques, d’autres facteurs affectent également l’utilisation des génériques, a déclaré Hazel Paragua-Zuellig ,membre du groupe de travail et principale auteure (Philippines/France).
« En France, les médicaments génériques sont très couramment utilisés parce que c’est ce que le gouvernement couvre », a-t-elle déclaré. « Le patient n’a presque jamais son mot à dire sur l’obtention d’une version générique ou d’une version d’origine. Dans les pays à faible revenu, comme les Philippines, la plupart des médicaments sont à la charge du patient. L’assurance couvre les médicaments pour les patients hospitalisés, mais les antiépileptiques sont des dépenses ambulatoires. C’est donc au patient de les payer ».
Formation sur les antiépileptiques génériques
Environ un quart des répondants au sondage ont déclaré n’avoir reçu aucune formation ou éducation sur les médicaments génériques. Les répondants des pays à faible revenu étaient plus susceptibles d’avoir suivi une formation.
« Les médecins qui travaillent dans des pays à faible revenu ont reçu plus d’informations sur les médicaments génériques, mais ils ont plus d’inquiétudes quant à leur utilisation », a déclaré Damian Consalvo (Argentine), membre du groupe de travail. « Si vous ne faites pas confiance au contrôle réglementaire de votre pays, alors peut-être aurez-vous des inquiétudes, mais je ne sais pas si cela explique tout. Il est possible qu’une partie de l’éducation sur les médicaments génériques provienne de l’industrie pharmaceutique, et qu’elle soit peut-être biaisée contre les génériques. Nous avons donc besoin de plus d’éducation impartiale ».
Normes et bioéquivalence
Pour qu’un médicament générique soit considéré comme bioéquivalent au produit d’origine, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis indique que l’intervalle de confiance à 90 % de l’analyse de la variance des ratios log-transformés du médicament générique par rapport au médicament d’origine, tant pour la concentration maximale du médicament (Cmax) que pour l’exposition globale au médicament (aire sous la courbe ou ASC), doit se situer entre 80 % et 125 %.
Cela ne signifie pas que les ratios Cmax et ASC ou les concentrations plasmatiques réels et observés peuvent varier de -20 % à +25 %, a noté M. Welty. En pratique, a-t-il ajouté, les différences entre les variables pharmacocinétiques des deux produits – générique et d’origine – devraient être inférieures à 10 % pour satisfaire l’exigence de bioéquivalence. Cependant, les différences entre les génériques peuvent être plus importantes : si une personne passe d’un générique à l’extrémité supérieure à un générique à l’extrémité inférieure, par exemple, le changement pharmacocinétique peut être cliniquement significatif.
L’Agence européenne des médicaments (EMA) a des recommandations légèrement différentes de celles de la FDA, et si la plupart des pays utilisent les recommandations de la FDA ou de l’EMA pour la bioéquivalence, certains pays peuvent en utiliser d’autres. Dans l’étude menée par le groupe de travail, 47 % des répondants ont déclaré que leur pays utilisait ses propres normes nationales ou fédérales en matière de bioéquivalence : 13 % des répondants ont déclaré que les normes avaient été adoptées d’un autre pays, 12 % ont déclaré que les normes étaient fixées par des sociétés pharmaceutiques et 24 % ont indiqué qu’ils ne savaient pas comment les normes de bioéquivalence de leur pays avaient été établies.
Certains pays n’exigent aucune démonstration de bioéquivalence avant la commercialisation d’un médicament, a déclaré M. Welty. « Par exemple, en Argentine, un produit générique peut être mis sur le marché sans démontrer la bioéquivalence : l’entreprise dispose de six mois pour prouver sa bioéquivalence afin que le produit reste sur le marché ».
En conséquence, a-t-il dit, les entreprises mettent un médicament sur le marché pendant six mois, puis le retirent. « Il y a un brassage constant de produits », a déclaré M. Welty, « et pour la plupart, il n’a pas été démontré de manière fiable qu’ils étaient bioéquivalents ».
Un contexte similaire existe aux Philippines, a déclaré Mme Paragua-Zuellig, où la bioéquivalence des médicaments génériques n’est pas testée. « C’est à la société pharmaceutique de fournir volontairement les données pour démontrer la bioéquivalence, et c’est un test très coûteux », a-t-elle déclaré. « Elle ne ne le fait pas toujours. Elle se contente d’enregistrer le produit. En fin de compte, c’est au médecin qu’il incombe de protéger son patient contre les faux médicaments ».
Mon patient a-t-il reçu ce que j’ai prescrit?
Environ 20 % des personnes interrogées ont déclaré que leurs patients n’avaient presque jamais reçu l’antiépileptique spécifié sur l’ordonnance ou qu’ils ne savaient pas si les patients avaient déjà reçu ce qui leur avait été prescrit.
« Si vous êtes dans un pays qui autorise le changement [d’un médicament d’origine à un générique], c’est la pharmacie qui décide de ce que la personne reçoit », a déclaré Mme Paragua-Zuellig. « Vous ne pouvez donc pas savoir, en tant que prescripteur, si votre patient prend le médicament d’origine ou le générique, ou quel générique il prend ».
Les Philippines ont une loi sur les génériques qui oblige le prescripteur à utiliser une terminologie générique, a indiqué Mme Paragua-Zuellig. Si le prescripteur ne précise pas la formulation de la marque, la décision appartient au pharmacien et au patient. « Si vous ne prescrivez pas la marque, vous autorisez en quelque sorte le pharmacien à donner tout ce qui est disponible », a-t-elle dit. « Ou le patient peut demander au pharmacien l’option la moins chère, ou la pilule la plus facile à avaler, ou similaire ».
Aux États-Unis, des études ont montré qu’au moins la moitié du temps, les médecins ne savent pas si leurs patients prennent des formulations d’origine ou des génériques, a indiqué M. Welty. « Si je suis un médecin prescripteur, je soumets l’ordonnance par voie électronique, le patient la récupère ou je suppose qu’il la récupère, et je ne demande généralement pas ce qu’il a reçu, à moins que le patient ne donne volontairement cette information ou ne se plaigne », a-t-il précisé.
Passage d’un médicament générique à un autre : inquiétudes
La qualité médiocre ou inégale des médicaments génériques est l’inquiétude la plus courante des répondants à l’enquête, citée par 36,4 % d’entre eux. L’absence de contrôle réglementaire et l’accès restreint font également partie des inquiétudes. De plus, 6,8 % des répondants ont déclaré que leur principale inquiétude concernant les génériques est leur coût.
Parmi les médicaments figurant sur la liste des médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la santé, les problèmes liés aux versions génériques sont plus fréquents pour la carbamazépine, la lamotrigine et l’acide valproïque.
Outre la prescription initiale d’un générique, le passage du produit d’origine au générique, ou d’un générique à un autre, représente également une inquiétude générale des prestataires traitant des personnes atteintes d’épilepsie. Environ 40 % des répondants ont déclaré avoir observé une augmentation de la fréquence des crises chez les patients après le passage à une formulation générique. Par ailleurs, 17 % ont constaté une toxicité liée à la dose ou à la concentration, et 7 % ont dit avoir observé des changements dans la sémiologie ou les caractéristiques des crises.
Il existe plusieurs hypothèses sur les raisons pour lesquelles passer à un médicament générique peut être associé à une augmentation des crises et des effets secondaires indésirables. L’une d’elles est qu’un changement de forme, de taille ou de couleur du médicament peut affecter l’observance du traitement. Une autre est que la perception par les patients de la valeur du traitement – c’est-à-dire qu’un antiépileptique plus cher est plus efficace – pourrait jouer un rôle, comme des études l’ont montré pour la maladie d’Alzheimer et le soulagement de la douleur.
Une étude de 2011 a souligné que « les changements entre les antiépileptiques génériques peuvent entraîner des modifications plus importantes dans les concentrations plasmatiques des médicaments que les substitutions génériques des produits de référence ». D’autres études ont montré que le changement de fabricant de médicaments a été associé à un risque accru de crises d’épilepsie et d’effets secondaires, bien que les études publiées soient peu nombreuses et qu’au moins une publication n’ait pas trouvé de risque accru. La plupart des articles se concentrent également sur les régions à ressources élevées, telles que l’Europe et l’Amérique du Nord, où le contrôle réglementaire est plus rigoureux.
Welty a déclaré que le groupe de travail avait envisagé d’élaborer une déclaration de principe concernant l’utilisation d’antiépileptiques génériques, mais que les environnements réglementaires variables rendent irréaliste une déclaration uniforme.
Compromis dans les régions à faibles ressources
Selon Mme Paragua-Zuellig, les neurologues des pays à faibles ressources pourraient avoir besoin de se renseigner davantage sur les médicaments génériques. Ils peuvent également avoir moins de choix de médicaments et des inquiétudes plus pressantes en matière de qualité.
« Vous voudrez peut-être prescrire un [antiépileptique d’origine d’une certaine marque], mais si le patient ne peut pas se le permettre, alors il ne le prendra pas », a-t-elle dit. « Donc, vous prescrivez le générique, qui n’est peut-être pas bioéquivalent, mais au moins il prend quelque chose deux fois par jour », a-t-elle déclaré. « Vous devez vraiment prendre en considération ces choses et en discuter avec vos patients, bien que vous aimeriez être dans un pays où tout est remboursé afin de pouvoir choisir la meilleure option pour vos patients sans avoir à vous soucier de la qualité ou du coût ».
Les neurologues se familiarisent avec les marques génériques et apprennent à faire confiance à certaines plutôt qu’à d’autres, a-t-elle déclaré. « Au fil du temps, vous pouvez voir que certains patients se portent bien sur un générique particulier, alors vous restez avec ce générique particulier. Nous avons probablement une ou deux sources génériques auxquelles nous faisons confiance pour chaque médicament, mais il s’agit essentiellement d’autorégulation ».
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Fondée en 1909, la Ligue internationale contre l’épilepsie (ILAE) est une organisation mondiale avec plus de 120 sections nationales.
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