«Ça ne suffit pas d’avoir des données, c’est important de créer un lien», confie Victor Schmidt, doctorant à l’Université de Montréal sous la direction de Yoshua Bengio, professeur à l’UdeM et fondateur de Mila. Les effets des changements climatiques sont à l’évidence difficiles à appréhender pour le grand public.
Lancé le 14 octobre, Ce climat n’existe pas est un site Web qui se sert de l’intelligence artificielle (IA) pour contribuer à la lutte contre les changements climatiques en aidant à sensibiliser la population à leurs conséquences. «Nous voulons réduire la distance dans l’espace et dans le temps», poursuit l’étudiant, qui a travaillé sur le site dans le cadre de son doctorat.
Amorcé en janvier 2019, ce projet a mobilisé une trentaine de spécialistes et de collaborateurs, dont les trois chercheurs principaux, Sasha Luccioni, M. Schmidt et Alex Hernandez-Garcia, et Yoshua Bengio en a assuré la direction scientifique. «Nous avons eu plusieurs discussions avec des experts sur le terrain et des activistes climatiques. C’est important de ne pas être isolés en tant que scientifiques», dit le jeune homme.
La technologie au service de l’émotion
Ce n’est pas un site Web basé sur des projections climatiques», précise Victor Schmidt. Ainsi, les algorithmes appliqués aux images produites par Google Street View ne reflètent pas de réelles prédictions. Le cœur de l’approche est plutôt de proposer une expérience basée sur l’empathie et de créer un lien émotif. «Le but est de conscientiser le grand public et de lui faire comprendre l’urgence d’agir», ajoute-t-il.
Le site utilise des réseaux antagonistes génératifs, une technologie inventée à Montréal. Ces algorithmes sont capables de générer de nouvelles images à partir de données d’entraînement, par exemple de créer la photo du visage d’une personne qui n’existe pas.
Pour simuler une inondation, les chercheurs ont nourri l’algorithme de réelles images d’inondations afin d’apprendre à la machine comment reproduire la texture de l’eau qu’elle teintera correctement sur de nouvelles images. «Travailler avec l’eau fut un grand défi. Premièrement parce que l’humain comprend instinctivement les propriétés physiques de l’eau et ensuite parce que ça demande un niveau de précision plus grand que pour simuler le smog ou les effets des incendies de forêt sur les plans de la texture et des reflets par exemple», explique Victor Schmidt. La machine doit apprendre à reconnaître la structure de l’image pour placer l’eau où c’est physiquement possible de manière à proposer une image réaliste à l’utilisateur.
Près des yeux, près du cœur
En ouvrant le site, les utilisateurs entrent une adresse (leur domicile, leur chalet, leur café préféré) et voient les répercussions potentielles que pourraient avoir d’importantes inondations, des feux de forêt ou la pollution atmosphérique près de chez eux, plutôt que dans un endroit lointain. «On a souvent l’impression que ces changements surviendront très loin dans le futur. Ce n’est pas facile à concevoir», remarque Victor Schmidt.
Ces trois éléments ont été sélectionnés, puisqu’ils sont faciles à visualiser. Inondations, incendies de forêt et pollution de l’air risquent aussi fort bien de toucher le Canada dans les prochaines décennies.
Agir à son échelle
Après avoir constaté les effets que pourraient avoir ces phénomènes climatiques, l’utilisateur est dirigé vers une section qui présente des actions individuelles, collectives et politiques pour lutter contre les changements climatiques. «On ne veut pas laisser l’utilisateur paralysé», souligne Victor Schmidt. Plusieurs pistes sont suggérées. «Il n’y a pas de solution magique. La principale serait peut-être d’observer le monde à travers des lunettes vertes, à travers la lunette climatique», mentionne le doctorant.
Le site sera en ligne au moins un an. «Il faudra voir si l’expérience se poursuit. Les coûts pour faire tourner les algorithmes sont quand même grands», observe Victor Schmidt. Les algorithmes sont toutefois publics et le code ouvert; ceux-ci pourraient donc être rendus accessibles aux éducateurs ou organismes qui souhaiteraient s’en servir.
Le projet s’inscrit dans un courant de l’intelligence artificielle plus humaniste et a d’ailleurs été réalisé dans le cadre du pôle IA pour l’humanité de Mila, qui vise à contribuer au dialogue social et à l’élaboration d’applications d’intelligence artificielle bénéfiques pour la société. «Le projet n’est pas techno-optimiste. On ne promeut pas l’IA comme sauveuse de l’humanité. L’IA va être utile, mais ce n’est pas suffisant», conclut-il.