Traitement de première intention inapproprié de l’état de mal épileptique : problématique et solutions

Les benzodiazépines sont le traitement de première intention de choix pour l’état de mal épileptique. Les recommandations de la Neurocritical Care Society (2012) et de l’American Epilepsy Society (2016) préconisent les médicaments, leurs doses et les voies d’administration. Cependant, de récentes études ont mis en lumière que les benzodiazépines ne sont pas toujours administrées, et que lorsqu’elles le sont, la dose est presque toujours trop faible.

Deux analyses récentes des données de l’essai ESETT (Established Status Epilepticus Treatment Trial) ont révélé que moins d’un tiers des patients avaient reçu une première dose de benzodiazépines conforme aux recommandations.

L’essai ESETT a comparé le lévétiracétam, la fosphénytoïne et le valproate comme traitements de deuxième intention de l’état de mal épileptique. Dans le cadre de cette analyse, les chercheurs ont examiné à quel moment et avec quelle posologie les benzodiazépines de première intention ont été administrées aux participants de l’étude.

La plupart des doses sont trop faibles

Le traitement de première intention ne faisait pas partie du protocole de l’essai ESETT. Il a été administré selon les standards de soins locaux. Cependant, les recommandations de l’American Epilepsy Society (AES) faisaient partie de la formation pour cette étude.

Dans le cadre d’une analyse intermédiaire pour l’essai ESETT, les chercheurs ont également étudié les données s sur le dosage des benzodiazépines. Cette analyse – publiée en 2019 – a révélé que seulement 29,8 % des doses initiales respectaient les recommandations de l’AES.

Les chercheurs de l’ESETT ont à nouveau insisté sur les recommandations et ont fourni une formation supplémentaire. L’intervention n’a cependant pas eu d’effet significatif : parmi toutes les premières doses administrées aux participants à l’essai ESETT, seules 32,4 % respectaient les recommandations minimales.

Les recommandations préconisent l’administration d’une ou deux doses de traitement de première intention, en fonction du médicament choisi. Les participants à l’essai ont reçu plusieurs petites doses de benzodiazépines – jusqu’à neuf, la plupart en recevant deux ou trois. Malgré les multiples doses, 17% des personnes recevant un traitement de première intention n’ont jamais reçu de dose cumulative appropriée.

Trop peu, trop tard

« Au fur et à mesure que l’état de mal progresse, il devient plus difficile à traiter », a déclaré Abhishek Sathe, premier auteur des publications de 2019 et 2021, actuellement pharmacologue clinique senior chez Gilead Sciences. « La plupart des adultes ont reçu l’équivalent de 2 mg de lorazépam : c’est essentiellement la moitié de la dose. Puis, ils ont reçu une autre demi-dose plus tard, lorsque la crise ne s’est pas arrêtée. Il se peut que 4 mg aient été administrés au total, mais il ne s’agissait pas d’une dose complète, comme le stipulent les recommandations – et c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles ces personnes sont restées en état de mal. »

Les analyses de l’essai ESETT ont révélé des tendances distinctes pour la première dose de chaque option de benzodiazépines :

  • Diazépam : 85,9 % des premières doses respectaient les recommandations. Le diazépam était le plus souvent administré en préhospitalier ; 71 % des administrations de diazépam ont été effectuées avant l’arrivée des services d’urgence.
  • Midazolam : 18,9 % des premières doses respectaient les recommandations. Les deux tiers des doses de midazolam ont été administrées par le personnel des services médicaux d’urgence, avant l’arrivée à l’hôpital.
  • Lorazépam : 24,1 % des premières doses respectaient les recommandations. Presque toutes les doses de lorazépam (91 %) ont été administrées dans le service des urgences.

« Ce qui m’a surpris, c’est que les traitements à domicile, par les membres de la famille, respectaient les recommandations dans la plupart des cas, alors que les professionnels de la santé formés optaient pour des doses inférieures à celles recommandées », a déclaré J. Cloyd, docteur en pharmacie, principal auteur des publications de 2019 et 2021, qui a rappelé que les traitements à domicile ont des doses fixes et sont relativement simples à administrer.

L’essai ESETT n’est pas la première analyse à constater un sous-dosage en benzodiazépines dans le traitement de l’état de mal épileptique. D’autres études ont montré des tendances similaires : certaines ont ainsi trouvé des associations entre un traitement inapproprié par benzodiazépines et la progression vers un état de mal épileptique réfractaire, ainsi qu’un résultat clinique globalement moins bon.

Quelques études ne trouvent aucune association entre une dose appropriée de benzodiazépines et les résultats cliniques, bien que d’autres variables – telles que l’étiologie, le temps écoulé avant le traitement de première intention et le temps écoulé avant le traitement de deuxième intention – jouent également un rôle significatif dans les résultats.

Pourquoi le sous-dosage persiste-t-il ?

« On a toujours craint que les benzodiazépines puissent être nocives. Les recommandations spécifient clairement qu’il faut donner une dose complète en utilisant la bonne voie d’administration et, même dans certains cas, une dose supplémentaire. Il est prouvé qu’il ne s’y a pas d’un problème de sécurité », a déclaré le Pr Cloyd. Le Pr Cloyd est professeur au département de pharmacologie expérimentale et clinique de l’Université du Minnesota, ainsi que directeur du Centre de recherche sur les médicaments orphelins de l’université.

L’inquiétude liée à la dépression respiratoire peut être à l’origine de certaines des faibles doses, a déclaré M Sathe. Cependant, la recherche n’a pas montré que les doses de benzodiazépines préconisées par les recommandations étaient associées à une augmentation des problèmes respiratoires chez les patients souffrant d’état de mal épileptique.

« L’état de mal épileptique lui-même peut entraîner une dépression respiratoire », a-t-il déclaré. « Les recommandations indiquent clairement d’administrer une dose complète en utilisant la bonne voie d’administration et, dans certains cas, de donner une dose supplémentaire. Il est démontré que ce n’est pas associé un problème de sécurité. »

Les preuves incluent une étude de 2001 comparant le diazépam, le lorazépam et un placebo pour le traitement pré-hospitalier de l’état de mal épileptique. L’étude a révélé des taux similaires de complications respiratoires et circulatoires dans les trois groupes, le groupe placebo ayant tendance à présenter plus de complications (10,3 % diazépam, 10,6 % lorazépam, 22,5 % placebo, p = 0,08).

Une étude de 2020 sur le midazolam pour le traitement pré-hospitalier de l’état de mal épileptique chez les adultes a révélé que, bien qu’aucun patient n’ait reçu la dose recommandée, des doses plus élevées n’étaient pas associées à un risque accru de problèmes respiratoires. En effet, les doses plus élevées étaient associées à une légère réduction du risque d’avoir besoin d’une assistance respiratoire (RC 0,9 ; IC à 95 % 0,8-1,0).

Sensibilisation aux recommandations

Selon le Pr Cloyd, l’écart entre la publication des recommandations et leur application clinique n’est pas surprenant, étant donné que cela peut prendre jusqu’à 10 ans pour que des recommandations soient mises en œuvre. « Les recommandations sont une bonne chose, mais il faut les faire connaître à grande échelle si l’on veut qu’elles soient davantage utilisées », a-t-il déclaré. « La formation professionnelle doit se faire par le biais de conférences scientifiques, de sociétés médicales, des services médicaux d’urgence (SMU) et du personnel infirmier des urgences. »

Une  étude de 2019 de la revue JAMA ayant eu lieu en Californie a révélé que seuls 2 des 33 organismes de SMU suivaient des recommandations fondées sur des données probantes pour le traitement de l’état de mal épileptique, bien que 17 de ces 33 organismes aient révisé leurs protocoles après la publication des recommandations de l’AES en 2016.

Le midazolam était le traitement privilégié dans les protocoles des SMU californiens. Le midazolam intramusculaire a d’ailleurs été inclus dans 32 protocoles. Cependant, seuls deux SMU administraient les doses recommandées. Les autres SMU administraient des doses plus faibles. Seize protocoles proposaient également l’option du midazolam intraosseux, peut-être en raison de recommandations pédiatriques plus anciennes.

« Les protocoles des SMU doivent être mis à jour en suivant les recommandations », a déclaré M Sathe. « Une formation de mise à niveau pour le personnel des SMU pourrait également être utile. »

Collaboration

Un commentaire publié par Nicolas Gaspard a passé en revue une étude de 2020 portant sur les dossiers d’un organisme de SMU aux États-Unis. L’étude a analysé tous les patients adultes traités pour état de mal épileptique sur une période de cinq ans (janvier 2013 à janvier 2018). Le midazolam était la seule benzodiazépine administrée.

Sur les 2 494 cas, 38 % n’ont pas reçu de midazolam. Parmi les 62 % qui ont reçu du midazolam, aucun n’a reçu la dose correcte. Les voies d’administration les plus courantes étaient les voies intranasales (47,0 %) et intraveineuses (38,3 %). 14 % des patients ont reçu le médicament par voie intramusculaire (comme préconisé dans les recommandations) et 1 % par voie intraosseuse.

Le Dr Gaspard a écrit : « En tant que neurologues et épileptologues, nous sommes rarement directement impliqués dans la prise en charge précoce de l’état de mal épileptique. Mais l’une de nos priorités devrait être de diffuser les données probantes disponibles et de collaborer avec les organismes de SMU, les médecins urgentistes et les médecins des soins intensifs pour développer et mettre en œuvre des protocoles locaux basés sur des recommandations nationales et internationales, ainsi que des programmes d’amélioration de la qualité. Les données probantes et les recommandations elles-mêmes ne seront pas suffisantes. »

Un partenariat hôpital-SMU

Des chercheurs de l’Hôpital pour enfants de Seattle (États-Unis) collaborent avec les organismes de SMU pour améliorer la précision du dosage basé sur le poids des enfants dans les situations d’urgence. Les médecins et les chefs des SMU ont participé à la création de cartes de dosage Medic One Pediatric (MOPed) avec des codes couleur de différentes longueurs selon l’échelle Broselow.

« L’intervention initiale de la carte de dosage standardisée a été créée pour les diagnostics pédiatriques les plus fréquents rencontrés dans les SMU », a déclaré Lindsey Morgan, auteur principal de l’étude. « L’objectif était de diminuer la charge cognitive du personnel des SMU et d’augmenter la rapidité et la précision de l’administration des médicaments. »

Le personnel des SMU a été formé à l’utilisation des cartes MOPed. Lors d’une enquête, 97 % des personnes interrogées ont déclaré que les cartes constituaient leur principale référence pour le calcul des doses pédiatriques.

Une analyse réalisée en 2022  dans la revue Pediatric Neurology a révélé que les cartes MOPed et la formation ont permis d’augmenter la précision du dosage des benzodiazépines de 48 % l’année précédant leur mise en œuvre, et de 94 % l’année suivante.

Depuis la publication de l’étude, d’autres mesures d’amélioration de la qualité sont en cours, a déclaré l’auteure principale Jennifer Keene. « Le lévétiracétam a été mis à la disposition des équipes des SMU, et nous continuons à travailler sur l’amélioration de la communication afin d’uniformiser la prise en charge des enfants lors de la transition entre les soins préhospitaliers et le service des urgences », a-t-elle déclaré.

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